Il y a quelques jours, Bilingues et Plus a eu la chance de réunir autour d’un même thème plus d’une cinquantaine de personnes: chercheur·e·s, enseignant·e·s, formateurs et formateurs, étudiant·e·s, ainsi que de nombreux professionnels curieux de mieux comprendre ce que signifie « apprendre et grandir dans plusieurs langues » aujourd’hui en France.

Cette Journée d’étude, organisée à l’INSPE de Paris et soutenue par Université Sorbonne Nouvelle, Inidex EFL , l’Université Paris Cité et l’association Bilingue et Plus, avait un objectif clair : mettre en lumière les compétences plurilingues des enfants et réfléchir ensemble à la manière dont l’école peut accueillir et valoriser ces répertoires linguistiques.
Des centaines de langues circulent en France, auxquelles s’ajoutent plus de soixante-dix langues régionales. Beaucoup d’enfants arrivent à l’école avec un bagage langagier riche, complexe, parfois invisible. Comment faire en sorte que ce capital soit reconnu et intégré dans les pratiques pédagogiques ? C’est à cette question que la journée a cherché à répondre, à travers des interventions venues de la linguistique, de la psycholinguistique, de la sociolinguistique, de la pédagogie,, de la traduction mais aussi du vécu des familles.
Une matinée ancrée dans les enjeux sociaux, politiques et éducatifs
La journée s’est ouverte en amphithéâtre par une présentation de Pauline Beaupoil-Hourdel, Ranka Bijeljac-Babic et Arnaud Meyer, qui ont rappelé le sens de cette rencontre : créer un espace où les savoirs scientifiques rencontrent les réalités de terrain.
La langue arabe, entre intime, social et politique
L’intervention de Nada Yafi, autrice de Plaidoyer pour la langue arabe (2023) a montré avec force que le bilinguisme arabe-français est toujours pris dans des tensions sociales et politiques. La langue n’est jamais seulement un outil : elle révèle des histoires, des appartenances, des injustices parfois, mais aussi une créativité et une résilience impressionnantes.
Plurilinguismes : de la famille à l’université
Jésabel Robin a ensuite proposé une réflexion stimulante sur les formations bilingues, en particulier en Suisse. Elle a montré comment ces dispositifs peuvent devenir de véritables laboratoires d’inclusion et d’exemplarité, pour peu qu’on les pense en dialogue avec les familles.
Florian Targa a présenté un retour d’ateliers menés avec des lycéens. Il a montré comment la médiation et le travail sur les langues d’origine peuvent devenir des espaces de rencontre avec soi-même, et parfois même de réparation. Une idée forte : les adolescents savent beaucoup plus de choses sur leurs langues que ce que l’école leur laisse exprimer.
Éthique de l’enseignant et répertoires plurilingues
Pour clôturer la matinée, Brahim Azaoui a rappelé que la valorisation des langues familiales n’est pas seulement une question de technique pédagogique : c’est une question de posture, d’éthique et de rapport au pouvoir linguistique dans la classe.
Une après-midi dédiée aux familles, aux gestes et aux langues invisibles
Tisser les voix et les langues en famille
La reprise a été assurée par Anna Ghimenton, qui a apporté un éclairage sensible sur les dynamiques linguistiques familiales. Elle a montré comment les voix, les gestes, les habitudes et les récits construisent un tissu linguistique complexe, où chaque langue a sa place, son rythme et son affect.
La gestualité dans l’acquisition bilingue
Le duo Christelle Dodane et Caterina Enni nous ont présenté leur projet passionnante sur la gestualité chez les enfants bilingues.. Elles suggèrent que les gestes ne sont pas un « à-côté » de la langue, mais un élément structurel du développement bilingue précoce. Une belle démonstration de la manière dont le corps parle, accompagne, renforce, souligne.
Langue des signes française : entre famille et école
Après une dernière pause-café, Pauline Rannou et Diane Bedoin ont présenté un travail important sur la place de la LSF chez les enfants sourds. Elles ont rappelé que la langue des signes n’est pas seulement un outil de communication, mais une langue pleine, riche, porteuse de culture. Et que sa présence à l’école, encore trop fragile, reste un enjeu majeur d’équité linguistique.
Clôture : la Semaine des Langues comme levier de valorisation
La journée s’est terminée avec une intervention de Jackie Pialhoux et Taylor Smith-Benyahia autour de la Semaine des Langues et de son potentiel pour transformer les pratiques. Nous avons partagé des exemples concrets issus du terrain : ateliers plurilingues dans les écoles, expositions avec les municipalités, activités menées avec les crèches, collecte des langues parlées dans les quartiers.
Une idée clé a émergé :
Lorsque l’école ouvre un espace où toutes les langues comptent, les enfants se sentent enfin légitimes. Les familles aussi.
Un mot de conclusion
Si cette journée a été si riche, c’est parce qu’elle a rassemblé des mondes qui dialoguent encore trop peu : chercheurs, enseignants, médiateurs linguistiques, familles, formateurs. Chacun est reparti avec des pistes concrètes, des idées neuves, et surtout la conviction que valoriser le plurilinguisme n’est ni un luxe, ni un supplément d’âme : c’est une nécessité pédagogique et sociale.
L’accueil enthousiaste des participants – près d’une cinquantaine – montre que ces questions sont plus que jamais essentielles. Et que nous avons tout à gagner à continuer ce travail collectif.

